Trêve de confusion : clarifier les terminologies
Dans les débats économiques actuels, les termes peuvent prêter à confusion. Il est essentiel de distinguer clairement :
- Économie des soins : Prise en charge de la santé, du bien-être de soi et d’autrui, qu’elle soit rémunérée ou non, souvent au sein du foyer ou dans un cadre communautaire.
- Économie de la santé : Application des outils et méthodes économiques aux domaines médicaux et socio-sanitaires.
- Économie féministe : Approche critique de l’économie centrée sur les inégalités de genre et la valorisation du travail des femmes.
- Économie de marché : Système régi par l’offre et la demande où les prix fluctuent librement.
- Économie émotionnelle : Étudie l’impact des émotions sur les comportements des consommateurs et les décisions économiques (divertissement, sport, musique…).
Parmi ces concepts, l’économie des soins (ou Care Economy en anglais) attire de plus en plus l’attention pour son rôle essentiel dans nos sociétés.
Définir l’économie des soins : au cœur du quotidien
Le terme Care Economy désigne l’ensemble des soins apportés aux personnes – enfants, personnes âgées, handicapées – ainsi que les tâches ménagères (cuisine, ménage, lessive, etc.), souvent assumées dans le cadre familial. Ce travail, généralement non rémunéré, repose historiquement sur les femmes, et reste largement invisibilisé dans les systèmes économiques classiques.
Une réalité ancienne, toujours peu reconnue
Historiquement, ce sont les femmes – mères, sœurs, filles – qui assurent l’essentiel du travail domestique. Invisible car non reconnu, non monétisé, ce travail reste exclu des indicateurs économiques traditionnels. Il soulève des questions fondamentales : sociales, culturelles, psychologiques et économiques. Au cœur de ces réflexions : les inégalités persistantes et les opportunités économiques manquées.
🎯 Des chiffres probants : une contribution colossale mais négligée
Selon les données du Population Reference Bureau (PRB) :
- La valeur estimée du travail de soins domestiques non rémunérés atteint 11 000 milliards de dollars, soit 9 % du PIB mondial.
- En Afrique, une femme sur trois reste en dehors de la population active à cause de ces responsabilités, contre moins de 4 % des hommes.
- Les femmes assument 76 % du travail domestique mondial, y consacrant en moyenne 4,5 heures par jour.
Exemple au Burkina Faso : 93 % du travail de soins non rémunéré est assuré par les femmes. S’il était valorisé, il représenterait 29,9 % du PIB (source : CREG).
La pauvreté accentue encore ces écarts. Les femmes et filles issues de milieux modestes y consacrent plus de temps que celles issues de classes plus aisées. Les normes sociales et culturelles renforcent ces disparités.
Zoom sur les pays : cas du Bénin et du Togo
À l’occasion de la troisième conférence NTA Afrique, une étude comparative menée par les professeurs Djaoudath ALIDOU DRAMANE et Latif DRAMANI (CREG) a mis en lumière la répartition inégalitaire du temps domestique :
- 78 % des travaux ménagers sont réalisés par des femmes contre 22 % par des hommes.
- En matière de soins aux personnes : 76 % pour les femmes, 24 % pour les hommes.
- Au Bénin, les femmes génèrent 48 % de la richesse dans le système formel/informel contre 22 % pour les hommes.
Ces chiffres soulignent une invisibilisation structurelle du rôle économique des femmes, à l’origine de violences multiples : précarité financière, dépendance, dévalorisation sociale.
La pandémie : un révélateur brutal des inégalités
La crise de la COVID-19 a mis en lumière l’importance vitale du travail de soins. Les femmes, en première ligne, ont assuré la continuité des soins malgré l’arrêt de nombreuses activités économiques. Cette période a réaffirmé le caractère essentiel et intemporel de l’économie des soins.
👉 Selon le professeur DRAMANI, cette situation a renforcé les bases théoriques de l’économie des soins comme levier de résilience sociale et économique.
Perspectives et enjeux pour le développement durable
Aujourd’hui, l’économie des soins s’impose comme un champ stratégique pour les politiques publiques. Elle devient incontournable dans l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier :
- L’égalité de genre (ODD 5)
- Le travail décent (ODD 8)
- La réduction des inégalités (ODD 10)
Trois approches structurantes émergent :
- L’économie féministe : qui met en lumière la répartition inégale et non valorisée du travail domestique.
- L’approche institutionnelle : qui plaide pour une intégration des soins dans les politiques publiques et les systèmes de protection sociale.
- La perspective africaine : qui appelle à considérer les spécificités culturelles, sociales et communautaires du continent.
Conclusion : une économie vitale, un changement nécessaire
L’économie des soins est un pilier fondamental des sociétés, notamment en Afrique. Sa reconnaissance, sa valorisation et son intégration dans les politiques publiques sont des préalables essentiels pour construire une société plus équitable, résiliente et durable.
Investir dans ce secteur revient à renforcer le tissu social, favoriser l’autonomisation des femmes et stimuler la croissance inclusive. Il est temps que le travail de soin, rémunéré ou non, entre pleinement dans les comptes de la nation.
✍️ Koffi Zacharie HOUNDO
Producteur de contenus média, Consultant – Formateur en Autonomisation des femmes, Dividende Démographique, Économie des soins et Climat, Philosophie, Droits de l’Homme, Marketing, Plaidoyer – Projet SWEDD, PRB, Institut National de la Femme, etc.
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